Un rendez-vous tardif...

Une ampoule éclate, une lumière vive l’espace d’un instant, puis le noir. Mais entre temps une silhouette s’est figée. Fine et silencieuse, elle s’approche, c’est elle, c’est Jenny. Elle me fixe des yeux, des yeux brillants qui ont l’air bien plus perçants que des yeux normaux.

Mes sens décuplés perçoivent quelque chose, ça s’amplifie au fur et à mesure qu’elle approche. Son cœur. Ce sont les battements de son cœur.

*A-t-elle été à ce point blessée pour être si craintive ? Qu’est-ce qui a bien pu lui arriver ?*

J’interromps là le cours de mes pensées et m’avance à sa rencontre.

« Vous êtes venue finalement. Qu’est-ce qui vous y a poussé ? Peut-être suis-je dangereux ? Quoi que sur ce dernier point vous n’avez rien à craindre de moi, je ne veux rien d’autre que vous parler. Libre à vous de refuser, mais dans ce cas je ne pense pas que vous seriez venue.

Une mise en garde cependant, ce que je vais vous dire ce soir peut, selon l’usage que vous ferez de mes paroles, avoir des répercussions à de nombreux niveaux.

Je vous redonne le choix, vous pouvez partir tout de suite et ne plus jamais me revoir, ou bien vous m’écoutez et en assumez la responsabilité… »

Bien qu’elle ait l’air sûre d’elle en apparence, les battements de son cœur et ses doigts crispés sur sa veste démentent son hésitation. Elle entre cependant sans difficultés, embrasse la pièce du regard et se plante au milieu de la pièce, me regardant, attendant.

« Ça ne coûtera pas plus cher si vous vous asseyez, vous savez. » dis-je en désignant du bras les fauteuils et le canapé derrière elle.

Sans attendre sa réponse je me dirige vers la table, prend la carafe et commence à remplir les verres. Avant d’entamer le deuxième, je la regarde et lui demande, un petit sourire en coin :

« Le vin aussi est à ma charge, je vous en sert un verre ? »

Ma petite blague ne lui a fait aucun effet, ou plutôt si, maintenant elle me déteste un peu plus. Elle refuse mon offre, tout en me regardant du coin de l’œil.

« Serveuse, pas buveuse. Elle est bonne celle-là, vous savez l’un n’empêche pas l’autre, mais je respecte votre choix. »

Elle ne bouge pas mais commence à s’impatienter, elle veut des détails. Elle fronce les sourcils, je suppose qu’elle ne doit pas être habituée à ce qu’un inconnu soit aimable avec elle sans empiéter sur son intimité. Alors elle se méfie.

*Mon nom, ça y est, elle peut envisager une présentation.*

Je ne vais pas la laisser languir plus longtemps car elle commence à perdre patience, d’ailleurs elle se lève brusquement et va s’allumer une cigarette à la fenêtre. Je porte mon verre à mes lèvres et y avale une bonne gorgée, mon récit peut être long.

« Très bien, mon nom est Marcus Luis Khan, mais on m’appelle plus souvent Lucian, je suis un nuzzler loup au pelage argenté, c’est très joli quand je me balade sous une lune comme celle de ce soir, mais je suppose que ce n’est pas ce que vous voulez savoir. Vous l’aurez peut-être deviné, je vis ici, je vous passe les détails quant à ce qui m’a fait arriver dans cet endroit et y rester. Voilà ce que vous avez besoin de savoir pour le moment.

Maintenant entrons dans le vif du sujet. Je pense que vous connaissez Vincent Whitemore, et je suppose également que vous savez qu’il est le chef de la résistance. Cependant, cela fait quelques temps que l’on n’entends plus beaucoup parler de lui, ses actions violentes se font rares ces derniers temps. D’une certaine façon je m’en félicite, c’est une bonne chose et ça évite les dommages collatéraux à ce genre d’initiative. Mais une chose me tracasse, je ne sais pas ce qui se trame au sein de la résistance, et deux hypothèses s’offrent à moi : ou bien il s’est ramolli et a perdu foi en son combat, ou bien il prépare une action de grande envergure.

C’est là que vous intervenez, vous allez probablement être choquée par ce que je vais vous demander, mais pour faire clair, j’aimerais que vous espionnez la résistance. J’aimerais savoir ce qui se trame, car je suis moi-même très actif dans ce domaine, mais d’une tout autre manière, et j’ai peur qu’une action trop musclée mette à mal tout ce que j’ai mis en place jusqu’à présent.

Maintenant que vous savez cela, ou vous me laissez continuer, et posez vos questions, ou bien vous refusez tout de suite mon offre et dans ce cas je ne vous retiendrais pas plus longtemps. »

Au moment où j’évoque le nom de Vincent, son cœur s’accélère, alors elle avale une grande bouffée d’air et se détourne de la fenêtre pour me faire face. Elle me menace, ou du moins émet la possibilité qu’elle puisse être une menace pour moi, j’élude la question. Puis elle s’approche de moi et m’explique qu’elle connaît Vincent, que les Chasseurs ont sût frapper là où il fallait quand il fallait, qu’elle fait partie de la résistance, que je la crois folle.

*Même si je suis un pur inconnu, vous venez de me donner une information, chère Jenny.*

Elle s’approche encore et son visage n’est plus qu’à quelques centimètres du mien, elle plonge son regard dans le mien, elle veut que je lui expose mes plans, elle négocie, elle fera une bonne éminence.

Puis avant que je puisse répondre elle glisse sa joue contre la mienne et me murmure quelque chose à l’oreille, bien que mon attention fusse quelque peu détournée par le contact doux, chaud et fugace de sa peau, je lui réponds :

« Vous pensez vraiment que je ferais confiance, et que je dirais ce que je vous ai dit, à quelqu’un capable de tirer dans le dos d’un proche ? Et qui parle de corruption ? Je ne vous ai rien proposé encore en échange d’une quelconque faveur. J’espère bien que si j’arrive à vous convaincre, ce sera grâce à mes idées, et pas en vous graissant la patte.

Je ne vous demande pas de trahir Vincent, mais étant donné que vous avez l’air plutôt proche de lui, je pense que vous avez un minimum d’influence sur ses décisions, tout du moins je l’espère. Et ce que je voudrais vous demander c’est d’être en quelque sorte le lien non-officiel entre la résistance violente de Vincent et ce que j’appellerais la résistance diplomatique, que je représente.

En effet depuis quelques années, plusieurs de mes agents se sont infiltrés au sein du gouvernement et des différentes organisations de la société afin d’agir dans l’ombre des dirigeants, en étant leurs conseillers par exemple. Je dispose également de carnets regroupant des documents compromettants sur pas mal de monde, et ce sont ces mêmes agents la plupart du temps qui me les fournisse. Vous comprendrez donc bien que je me dois d’assurer la sécurité et de garder la couverture de ces agents intactes. Ce que je ne veux pas, c’est qu’une action de Vincent mette en péril tout ce pour quoi mes éminences, comme je les appelle, et moi-même travaillons depuis plusieurs années.

Votre rôle, qui devra rester secret, serait donc de me prévenir lorsque Vincent prépare quelque chose, afin de voir si cela ne met pas en péril mes éminences, et si c’est le cas, soit d’essayer de retarder l’échéance pour que je puisse prendre les précautions nécessaires, soit de le convaincre de renoncer à une action de trop grande envergure. Vous deviendriez en quelque sorte l’éminence de Vincent.

Alors Mademoiselle Jenny, mes idées vous conviennent-elles ? »

Jenny était perplexe... Lucian se leva et vint se rasseoir près d'elle en lui faisant face... Les yeux du jeune homme dans ceux, verts émeraude de la jeune femme la gêne un peu... elle n'est pas tant convaincue...

"Soit... nos idées semblent être en accord... mais si vous êtes si efficace à établir des plans... pourquoi ne pas tenter un accord direct avec Vincent? Pourquoi devrait-je donc passer sous silence notre discussion et tenter de l'influencer en secret? Il est aussi apte que moi à lier des accords..."

Jenny s'installe plus confortablement dans le divan...

"Et qu'est-ce qui me prouve que vous ne nous empêcherez pas de nous battre une fois le moment venu? Ne croyez pas que je sois perplexe par envie de vous déranger, mais il me semble que nous parlons d'une chose qui vaut bien plus qu'une simple conversation de salon de thé...Je comprend votre approche, sournoise certe, mais peut être efficace contre l'énnemi... ce que je comprend moins en revanche, c'est ce que vous en attendez réèlement... La haine des humains envers les Nuzzler est bien plus qu'un enjeu politique Monsieur Khan, c'est devenu une mentalité à part entière, une haine raciale collective... Je ne sais pas si ni vous ni moi n'arriverez à mettre un terme à cette idéologie stupide..."

Elle passe une main dans ses cheveux et réprime un petit baillement.. pas que la conversation l'ennui, mais la fatigue due au travail n'exempt pas les Nuzzlers...

"Et il me semble, si ma mémoire est bonne, que les discussions en rapport à la révolution française n'ont commencé que lorsque le peuple à prit les fourches... Sans cela... nous serions encore serfs..."

Mon offre semble la troubler, c’est vrai que cela fait peut-être beaucoup pour une seule soirée, mais je ne pense pas avoir été inconvenant. Bien que je n’espérais certes pas une réponse immédiate, je ne m’attendais pas non plus à ce qu’elle me lance ce regard de défi.

Elle se lève, me regarde et avant de sortir de la pièce, dit qu’elle veut prendre cinq minutes, ainsi qu’une phrase que je ne comprends pas bien.

*A-t-elle amené quelqu’un avec elle ? Non, je l’aurais senti. Ou alors elle veut appeler quelqu’un à prévenir, ce qui serait somme toute logique.
Après tout cela ne fait que cinq minutes à attendre, mais on peut faire beaucoup de choses en cinq minutes. Je n’aurais peut-être pas dû dire aux filles de me laisser trop tranquille, qu’il y en ait une ou deux pour surveiller. Quoique telles que je les connais il y en aura bien une qui aura pris l’initiative, enfin j’espère.*

Les secondes s’écoulent. Je me penche pour reprendre un verre de vin sur la table, et pensivement je me recale dans le divan.

*Je lui fait confiance mais, en cinq minutes elle a aussi le temps de partir, elle en a le droit, mais j’aimerais quand même avoir un peu plus de certitudes.*

Tout d’un coup j’ai un doute, mais je ne devrais pas, elle semble être honnête car la porte s’ouvre…

Elle rentre et me lance une petite phrase, très bien, elle veut jouer. Mais moi aussi je vais jouer, car quand on a l’habitude de courir la fourrure au vent pour se détendre, on sent la fraîcheur de la nuit. Elle a ouvert la porte de secours, c’est certain sinon le froid n’aurait pas pénétré jusqu’ici. Et elle a très bien pu avoir une conversation enrichissante en cinq minutes.

Elle se dirige vers la fenêtre comme si de rien n’était, mais son cœur a un petit saut, et un petit cri presque inaudible me parvient. Elle n’est plus seule.

C’est ce moment qu’elle choisit pour se retourner et accepter mon offre, puis elle vient se rassoir dans un des fauteuils et me regarde.

*Mon propre lit… Les lits de toutes les filles ici sont à moi également, je n’aurais eu aucun mal à en trouver un pour passer la nuit. Mais puisqu’elle veut jouer au chat et à la souris, autant que je soit dans les parages.*

Je me lève et me dirige vers une tenture, et d’un geste que je veux théâtral, je découvre une petite pièce dans laquelle se trouve un autre lit.

« Très bien, comme il vous conviendra, voici votre chambre, ainsi vous aurez droit à un peu d’intimité tout de même. »

Elle a senti que j’avais un instant douté, et je crois qu’elle sait que je sais. Elle finit son verre et me rejoint près de la tenture, et pose ses mains délicates sur mes épaules.

Elle me masse, ça fait du bien et me murmure à l’oreille que je peux changer d’avis. Puis elle m’enfonce ses ongles dans la peau et commence à m’embrasser le cou.

Je lui réponds, un petit sourire en coin

« Ne me tentez pas, je pourrais vous prendre au mot… » *…à défaut de vous prendre tout court*

Je me laisse aller, et penche un peu plus la tête pour lui offrir ma nuque.
Alors je me retourne doucement, sa main glisse de mon épaule sur mon torse, puis jusqu’au bas de mon dos, moi je la prends par la taille et la plaque contre mon corps d’une main et lui soutient la tête de l’autre pendant que je prends d’assaut la barrière de ses lèvres vers sa langue.

« Ma naïveté ? Oui peut-être, vous avez sûrement raison, mais vous semblez ne pas m’avoir écouté, micros ou pas ce que je vous aie dit ne prouve rien et ne permet rien. Et euh… moins j’en saurais sur quoi ? C’est moi qui devrais vous dire ça.
Pour ce qui est de votre sang, je ne me répèterais pas, et si vous y avez vu une menace, j’en suis désolé. Si, si, sincèrement. »

Tout en me faisant la morale sur le ménage, elle se baissa pour ramasser le verre éparpillé sur le sol.

« Mes âneries ?! Vous me dites que vous êtes fragile et vous allez au devant d’une coupure certaine et vous me parlez de mes âneries ?! »

Jenny s’acharne sur le bout de verre pris dans sa chair, de tous les moyens à sa disposition, mais sans résultat. Alors regardant ailleurs comme si de rien n’était, elle me tend la main.

Je la lui prends, et l’examine plus attentivement, en effet le bout de verre est bien caché, même moi avec mes griffes je ne pourrais pas le retirer. Je décide doc de faire une chose que je fais rarement. Je lui saisi la main et la porte à ma bouche, je lui lèche la paume et fait pénétrer ma langue dans la plaie, ma salive va lui faire rejeter le morceau de verre et disparaître la cicatrice.
Je m’attarderais bien un peu sur cette jolie main, mais ses serres me sont quelques peu restées en travers de la gorge, c’est le cas de le dire.

« Cela va prendre quelques minutes. » *Ça pourrait prendre quelques secondes, mais je réserve la communion de mon sang pour les intimes et les amis proches.*

Je lui rends sa main et me dirige vers le bar, en sort un petit aspirateur et enlève les deniers débris du sol.

« Cela vous convient-il ? »